Considérations méthodologiques.
Etudier le statut de la violence dans les grandes (de par le nombre d’adeptes, ici l’argument démographique se justifie par les nuisances engendrées} religions sans étudier méticuleusement leurs fondements est un défi proche du non-sens. Toutefois, ce choix s’impose, car les religions concernées demanderaient de multiples approches avant d’aborder la problématique de la violence proprement dite. Comme pour la métaphysique grecque, le monothéisme méditerranéen fera l’objet de notices approfondies. Plusieurs remarques méthodologiques s’imposent :
– Il ne s’agit pas de traiter uniquement le sujet dans sa seule dimension historique aseptisée, car son actualité demeure. Le préjugé épistémologique à la base est celui d’une continuité dans le changement, d’une variation sur un thème bien connu. Isoler le passé du présent compromettrait la compréhension et poursuivrait les illusions bornées. Ce travail s’appuie donc dans la durée, deux millénaires sanglants à souhait. Âmes sensibles s’abstenir.
– Un second a priori renforce le premier : il s’agit de prendre le monothéisme comme un bloc historique géocentré au bassin méditerranéen élargi aux terres visitées par les nomades sémitiques, de plus les guerres et les exils forcés ont largement brassé les populations et les croyances. Judaïsme, christianisme(s) et islam forment une trilogie du Livre qu’il faut disséquer attentivement. L’expansion par l’ouest (christianisme) et par l’est (islam) a inoculé le virus, métaphore virale oblige, dont nous subissons toujours les conséquences. Bref, l’exégèse <exergue|texte={{prendre le monothéisme comme un bloc historique géocentré }} |position=left|right|center>
biblique sera notre point de départ inéluctable.
– La consultation de la notice : « le concept de violence » et celle sur la pensée grecque sur le même thèmeaideront le lecteur à démêler les nœuds. Les formes et les causes de la violence s’entrecroisent depuis toujours, nous le verrons.
– L’articulation religions / violence comporte des variantes. Après le monothéisme, un bref aperçu des autres croyances permettra d’élargir la problématique et de mieux décrypter la spécificité de monothéisme méditerranéen.
– Impossible de traiter de notre sujet sans user et abuser de la notion de sécularisation [1] dont le sens prête à confusion. La religion ayant perdu sa centralité dans notre monde occidental, son influence a décliné, réduite à la sphère privée. La séparation de l’Église et de l’État prend le pas à divers degrés de radicalité, mais, partout, la société civile joue un rôle déterminant dans la culture, la politique et la société. Il n’est pas extravagant d’affirmer que l’État (avec sa complice, la Nation) a remplacé l’Église comme communauté humaine, le corpus mysticum d’antan. L’État est le frère jumeau et l’héritier de sa Sœur ainée (le monothéisme). Kantorowicz (1950) avait bien identifié les « deux corps » du Roi. Karl Löwith, Carl Schmitt, Éric Voegelin ont systématisé une conception de la sécularisation qui affirme que « les notions religieuses ont survécu au sein de la modernité : elles se sont transformées en idées et en idéologies qui ont été dépouillées du surnaturel et du divin, tout en conservant les mêmes structures » (Buc, cf. bibliographie) : une sorte de « post-chrétienté », syndrome de la modernité inconsciente de ses antécédents généalogiques.
Hans Blumenberg conteste cette démarche dans « La légitimité des temps modernes » (Éd originale 1966, Éd fr. Gallimard, 1999, 688 p.). Il refuse de réduire le présent à une continuité du passé. La sécularisation n’est pas une légitimation. Il y aurait donc une légitimité propre du présent. La théologie politique remplace le Dieu absent et à l’image impossible par le signe, l’absence / présence qui brouille les pistes.
Pour ma part, je préfère utiliser le terme de recyclage , d’une part, parce qu’il se décompose en plusieurs étapes identifiables : collecte après tri, routage / groupage, traitement et marchandisation du / des produits finis. De plus, à chaque stade apparaissent des acteurs différenciés qui détournent l’attention, si bien que l’aval ignore l’amont et réciproquement.
– L’extrême complexité de la problématique et les dangers de toutes interprétations hâtives imposent de circonscrire l’étude et de ne pas tirer des conclusions trop faciles. En conséquence, la démarche suivie consiste, en premier lieu, en une lecture textuelle des sources, afin d’en dégager les lignes directrices avant de soulever les redoutables questions posées et leur interprétation nécessaire.
Mieux vaut prendre la plume, même trempée dans l’encre rouge, que l’épée.