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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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I – Il était une fois... dans le Grand Ouest
Serge Aumeunier
Article mis en ligne le 2 février 2021
dernière modification le 5 février 2022

Au début des années 1960, dans le cadre de la mise en place des « métropoles d’équilibre », l’État envisage la construction d’un grand aéroport à vocation internationale autour de l’axe Nantes Saint Nazaire. Après 3 ans d ’étude, la préfecture choisit en 1968 le site de Notre Dame des Landes (NDDL), une vingtaine de kilomètres au nord de Nantes.

Paysans en lutte

Nantes - 24 mai 1968

Une partie des agriculteurs concernés oppose une résistance qui ne se démentira pas pendant plus de 50 ans : l’Association de défense des exploitants concernés par l’aéroport (ADECA) est créée dès 1972. En 1974, une « Zone d’aménagement différé » est mise en place par le Conseil général, qui achètera par la suite de nombreuses parcelles de terres, réparties sur 1650 hectares.

Les paysans de la région ont des traditions de lutte annonçant un radicalisme qui se concrétisera pendant le soutien à la lutte contre l’extension du camp militaire du Larzac, puis plus tard à NDDL. Dès 1967, une plateforme commune de revendications est signée entre les organisations ouvrières et paysannes : Christophe Patillon, du Centre d’histoire du travail de Nantes, indique qu’« ouvriers et paysans sont plongés dans Mai 68 avant Mai 68 ». Le 8 mai 1968 est organisée une journée de grève générale et de manifestations communes, avec le slogan « L’Ouest veut vivre ». Le 24 mai, 2 000 agriculteurs prennent la tête d’un énorme cortège à Nantes avec une banderole : « Non au régime capitaliste. Oui à la révolution complète de la société ». Ils rebaptisent la place Royale « place du Peuple » et prennent part au comité central de grève.

En est notamment issu « Paysans en lutte », un collectif de jeunes agriculteurs qui pratiquent l’action directe et estiment que seules les luttes permettent d’augmenter la conscience politique du plus grand nombre. Après la « grève du lait » en 1972, sous l’impulsion de Bernard Lambert, sont créés des syndicats de « paysans-travailleurs » qui seront très actifs dans les luttes contre le projet de centrale nucléaire au Pellerin, entre Nantes et Angers, et contre celui de l’aéroport de NDDL.

Mauvais présage supplémentaire pour le pouvoir : la commune de Notre-Dame-des-Landes a été fondée en 1871, année de la Commune de Paris...

« NON à l’Ayraultport ! »

Les deux chocs pétroliers des années 1970 remettent en cause le développement espéré de l’aéronautique, et particulièrement le Concorde qui a du « plomb dans l’aile » vu sa consommation de carburant. Or une des justifications du nouvel aéroport est que cet avion a besoin de pistes d’atterrissage plus longues que celles de l’Aéroport Nantes Atlantique D’autre part, en cette période, la priorité des investissements de l’État se dirige vers la construction d’un immense parc de centrales nucléaires. Le projet est ainsi mis en veilleuse et semble abandonné.

Cependant, vers la fin des années 1990, le Parti socialiste se sent pousser des ailes : Lionel Jospin Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, président du groupe à l’Assemblée nationale et député-maire de Nantes. Le Conseil général de Loire Atlantique et la région des Pays de la Loire étant sous son influence, il se voit déjà « Grand chef du Grand Ouest ».

L’année 2000 est celle de la relance de l’aéroport, qui fait saliver élus et monde des affaires et ne dérange pas la ministre de l’environnement, Dominique Voynet (Les Verts). En réaction se crée l’« Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport » (ACIPA), qui comptera par la suite 3 000 membres et permettra de coordonner 33 associations et mouvements politiques. Le contexte local explique cette rapide mobilisation : chaque année des terres agricoles sont grignotées par la péri-urbanisation, la construction de l’aéroport nécessiterait la disparition de prairies humides et bocagères d’un grand intérêt agronomique et environnemental.

D’autre part, pendant la période de gel des terres, la ZAD a conservé l’aspect de la campagne des années 1960, avant la « modernisation » de l’agriculture, car le Conseil général a provisoirement rétrocédé 800 hectares, sous forme de baux précaires (renouvelables chaque année) à des exploitants, en majorité jeunes et militants : « La moyenne d’âge est la plus basse de Loire Atlantique. Nous faisons de la polyculture-élevage. Il n’y a pas eu de remembrement et on n’a pas regroupé les parcelles, on a laissé les haies », des projets de circuits courts de commercialisation de produits agricoles permettant de changer le rapport ville-campagne commencent à être évoqués.

Décollage... des occupations

Parmi les opposants émerge peu à peu une frange plus radicale, qui envisage de nouveaux moyens d’action et exprime une critique globale du système. En 2007, suite à un contact pris par un paysan avec des squatters de Nantes, l’occupation de terres et de bâtiments prend son envol :
→ 15 août, la « Ferme des Rosiers » est investie
→ 8 décembre, la Coordination des associations aménage un lieu qui devient le Q.G. de l’organisation et sert de lieu d’accueil : « La Vache-Rit ». Le hangar initial est situé à côté de la ferme d’Alphonse Fresneau, dans la lutte depuis les années 1960 et qui pourra, en janvier 2018 neuf mois avant son décès à l’âge de 86 ans, partager la joie des opposants après l’annonce de l’arrêt du projet. L’année précédente il confiait : « J’ai l’habitude de ces rigolos de flics. Ce qui m’intéresse c’est de donner un coup de main aux jeunes. Les gendarmes, ils n’aiment pas trop quand les anciens interviennent ». Son fils sera le porte-parole de l’ACIPA.
L’État rend public son avant-projet et désigne le groupe Vinci pour concevoir et exploiter l’« Aéroport du Grand Ouest » dont les premiers avions devraient s’envoler en 2017, avec une perspective plus lointaine de 9 millions de passagers par an.
La déclaration d’utilité publique (DUP) de 2008 va rapidement engager la société civile à défendre un autre mode de développement du territoire :
La ZAD est rebaptisée « Zone à défendre » et un groupe d’« Habitants qui résistent » lance un appel à venir «  occuper et vivre sur la zone  ».