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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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Les femmes dans les sciences.
Patrice SCHILLER.
Article mis en ligne le 9 juillet 2021
dernière modification le 10 juillet 2021

Des femmes qui ont milité ou ont combattu pour leur reconnaissance d’être humain, de citoyenne, d’être politique pour conquérir l’égalité avec les hommes on peut citer des noms : Olympe de Gouge décapitée sans obtenir de droit sinon celui de monter sur l’échafaud, Louise Michel déportée pour sa participation à La commune de Paris, Simone de Beauvoir auteure du célèbre « deuxième sexe » longtemps injustement placée dans l’ombre de Sartre, voire sous sa tutelle intellectuelle par une société d’homme, ce qu’on sait être faux, maintenant. Est-ce pour voir son premier roman publié que Victoire Bera changea son nom en André Léo, militante, compagne de lutte de Louise Michel ? Ce ne sont que cinq exemples (français) parmi des milliers d’entre elles de toutes nationalités qui ont défendu les droits politiques, qui ont participé à la Résistance aux fascismes et totalitarismes multiples et l’ont payé de leur vie, se sont battues pour les droits à la contraception et à l’avortement, etc.

Mais des femmes qui ont contribué à l’essor des sciences dites de la nature : physique, biologie, chimie, monde des mathématiques, ou de la médecine qui n’est pas a proprement parlé une science mais plutôt un art, que sait-on de ce qu’elles ont dû mettre en œuvre pour s’imposer dans ces mondes scientifiques réservés aux hommes, de combien d’entre elles avons-nous retenu ou connaissons-nous le nom ? Combien ont-elles pu souffrir des conditions de leurs époques, rendues invisibles par et dans les sociétés d’hommes ?

Des femmes militantes, libertaires ont dû elles aussi s’imposer pour faire reconnaître leur présence auprès des militants masculins. Prenons l’exemple d’Emma Goldman, globetrotter de l’anarchisme : émigrée russe, Etats-Unis, URSS, Europe pour finalement décéder au Canada. Militer tant pour l’émancipation politique et sociale que pour la reconnaissance des femmes et donc en plus d’être militantes politiques et anarchistes, être militantes féministes. Et autant on peut reconnaître que ces militantes ont œuvré pour prendre toute leur place dans la société après leurs luttes, et ce, même si ce n’est pas fini aujourd’hui, autant il est difficile d’en dire autant pour les femmes scientifiques dont nous allons parler.

Ces femmes scientifiques étaient plus préoccupées de sciences et de mathématiques ainsi que de conserver leur place dans ces milieux misogynes, cela pourrait expliquer leur absence visible de volonté de lutte pour les émancipations des femmes. Mais cette reconnaissance obligée, aujourd’hui, de leur compétence et de leur génie démontre que les femmes sont bien les égales des hommes depuis des siècles dans le domaine de sciences et des connaissances et qu’elles y ont toute leur place.

Mais combien de subterfuge ont-elles dû mettre en œuvre pour publier ou faire connaître leurs travaux ? A travers quelques exemples que l’histoire a bien voulu reconnaître, nous pouvons mettre à l’honneur ces femmes. Aujourd’hui, même si statistiquement nous ne sommes pas à 50%-50% homme-femmes dans les instances scientifiques et les instances décisionnelles, nous constatons que de plus en plus de femmes y trouvent leur place et prennent des responsabilités dans les sociétés scientifiques, jusqu’à en être les présidentes.

Les instances d’attribution de prix reconnaissant la qualité des travaux menés prennent de plus en plus en compte la participation des femmes pour les nominer, ce qui n’a pas toujours été le cas dans l’histoire et n’est toujours pas assez suffisant aujourd’hui.

Médecine.

Françoise Barré-Sinoussi
Rosalind Franklin

Si la virologue Françoise Barré-Sinoussi (née en 1947) est co-lauréate du pris Nobel de médecine en 2008 pour la découverte du virus du Sida, Rosalind Franklin (1920-1958) aura été quant à elle dépossédée de sa contribution à la mise en évidence de la structure de l’ADN et sa mort arrangera bien le jury du Nobel pour l’attribuer à d’autres… des hommes qui se refuseront de reconnaître ce qu’ils ont dû à cette scientifique.

Physique-Chimie.

Marie Curie
Irène Joliot Curie

Lors de la grande boucherie de 14-18 que nos apprentis-officiers (futurs généraux pour certains) des écoles de guerre apprécient comme exercice de pratique militaire sur le papier en attendant de pourvoir mettre en pratique sur le terrain, qui suggéra de mettre en place et en œuvre des voitures de radiologie pour aider à soigner les blessés, et ce, contre l’avis des généraux criminels de l’époque qui très certainement voyaient d’un mauvais œil des femmes sur les théâtres de guerre exclusivement réservés aux hommes ? L’histoire retiendra donc que c’est Marie Curie (1867-1934), Marie Sklodowska, de son vrai nom, et ces voitures seront surnommées les « Petites Curie » pour lui rendre hommage (il n’y a malheureusement pas d’équivalent pour les femmes pour ce mot), voitures qu’elle conduira elle-même, emmenant avec elle sa fille Irène. Marie Curie qui obtiendra deux prix Nobel. Un de physique qu’elle partagea avec son mari Pierre parce qu’il intervint pour qu’elle soit associée à lui, sinon rien ; qu’une femme soit nobélisée à l’époque était absolument impossible. Et c’est sa fille Irène (1897-1956) qui associée à son mari Joliot sera elle aussi nominée plus tard. Son second prix sera le Nobel de chimie, cette fois-ci. Et malgré toute cette reconnaissance il lui fallu lutter contre la misogynie pour obtenir la chaire de physique de la Sorbonne sans compter que sa liaison avec Langevin, physicien, marié, a levé des voix contre elle pour sa mauvaise moralité. Et chose moins connue, Marie Curie aura été du côté des dreyfusards.

Emilie du Châtelet

Dans le monde de la physique s’il faut mentionner Emilie du Chastelet (1706-1749) notamment pour son excellente traduction de l’œuvre majeure de Newton : Principes Mathématiques de la Philosophie Naturelle, c’est parce qu’elle était membre de l’aristocratie. Et aristocrate elle n’a jamais considéré la possibilité pour les femmes en général d’être reconnue comme l’égale des hommes, l’idée ne pouvait déjà pas être admise pour tous les hommes, alors pour les femmes cela relevait de l’impensable. Elle-même était méprisante envers les domestiques. Son appartenance à l’aristocratie lui permettait d’être reconnue par les hommes de sciences et des mathématiques de cette époque.

Mileva Maric
Lise Meitner

Mais pour cet exemple d’une femme reconnue pour son talent, faut-il mentionner la femme d’Einstein, Mileva Maric (1875-1948) physicienne qui aurait pu l’avoir aidé dans son travail sur la relativité restreinte mais finalement méprisée par ce génie de la physique misogyne et phallocrate ? Faut-il mentionner Lise Meitner (1878-1968) qui a été à l’origine de l’explication de la fission de l’uranium ? Explication qui permettra de décerner le prix Nobel à Otto Hahn mais pas à elle, qui avait travaillé avec lui ; explication qui fera malheureusement parti des outils de la fabrication de la sinistre bombe. Faut-il mentionner que Lise Meitner était Autrichienne, juive et réfugiée en Suède et le prix Nobel attribué à Otto Hahn était celui de 1944 ? Ironie de l’histoire, nous retiendrons l’existence de cette physicienne car elle a donné son nom à un prestigieux prix, alors que pour Otto Hahn, qui s’en souvient ou s’en souviendra, mis à part les physiciens ?

Jocelyn Burnell

Comment allouer le travail d’une autre femme à un homme : Jocelyn Burnell (née en 1943) à l’origine de la découverte des pulsars lors de sa thèse, découverte qui permit à Stockholm de décerner le prestigieux prix Nobel à… son directeur de thèse qui n’avait pas voulu accorder d’importance à cette découverte ? Il semblerait que par modestie elle ait pu accepter cette injustice. On pourrait trouver mieux pour lutter contre l’iniquité de traitement et la reconnaissance des femmes et de leur travail.

Madame Lavoisier

C’est à l’aide d’un tableau de Jacques-Louis David la représentant aux cotés de Lavoisier à sa table de travail, qui nous la montre collaborant aux travaux de ce célèbre chimiste, qu’on peut comprendre que Madame Lavoisier (1758-1836) aurait dû être associée à son mari pour son travail de chimiste.

Mathématiques.

Emmy Noether

La physique doit un certain nombre de ses résultats à des théorèmes fondamentaux démontrés par Emmy Noether (1882-1935), théorèmes qui portent son nom mais pas sans mal car pendant plusieurs années certains scientifiques et mathématiciens qui utilisaient ces théorèmes trouvaient le moyen d’omettre son nom, théorèmes qui lient symétries et conservations de quantités de la physique. Elle a pu travailler en mathématiques grâce à l’appui et la protection de Hilbert mais elle devra enseigner bénévolement, s’opposer à l’adversité masculine des universités allemandes de l’époque était particulièrement difficile surtout dans un monde phallocrate qui plus est, antisémite parce que on content d’être femme, tout comme Meitner, elle était juive et dut émigrer aux Etats-Unis après avoir été congédiée de l’université suite à la racialisation du régime nazi.

Maryam Mirzakhani
Sophie Germain

Ce n’est qu’en 2014 que la médaille Field reconnu le mérite de Maryam Mirzakhani (1977-2017) pour ses travaux en mathématiques sur un thème éminemment difficile techniquement. Mais avant qu’une femme soit enfin reconnue combien d’autres ont dû céder leur place à des hommes ou bien restées dans l’ombre des hommes. Sophie Germain (1776-1831) dut se donner un nom d’homme afin de pouvoir accéder au cours de l’école Polytechnique et pour que les mathématiciens de l’époque lisent ses travaux et les reconnaissent à leur juste valeur : Antoine Auguste Leblanc. Et l’école Polytechnique n’acceptera d’ouvrir ses portes aux candidates qu’en 1972 et le major de promotion pour cette ouverture a été… une femme ; comme quoi ! Sans porter de jugement sur cette école qui a pour vocation de fabriquer des valets de l’Etat et du capitalisme dont notamment des généraux de l’armement. Pour en revenir à Sophie Germain, elle s’était attaquée à la démonstration de la conjecture de Fermat pour l’époque qui n’est devenu le théorème de Fermat-Wiles finalement démontré qu’en 1994, et ce, après des années de recherches difficiles et d’inventions particulièrement audacieuses et fructueuses. Un lycée parisien porte actuellement son nom dans le quatrième arrondissement.

En considérant que l’informatique fait partie des connaissances mathématiques tout en étant aussi une technique, nous savons assez peu que ce sont des femmes qui ont permis son essor, elles furent parmi les premières à programmer les machines et à utiliser les langages et c’est au fur et à mesure de l’importance prise par cette discipline que les hommes se sont appropriés le domaine, comprenant qu’à terme ce seraient ceux qui sauront maîtriser cette technique qui auront les pouvoirs. Faut-il rappeler le rôle des calculatrices afro-américaines Katherine Johnson, Dorothy Vaughan, Mary Jackson à l’origine des réussites des programmes spatiaux de la NASA ?

Mary Jackson
Dorothy Vaughan
Katherine Johnson

Faut-il mentionner Ada Lovelace une codeuse informatique dont on s’inspira du prénom pour le donner à un langage de programmation ? Aujourd’hui nous voyons bien que l’informatique c’est du pouvoir, ceci explique assez bien rétrospectivement l’action des hommes dans ce domaine : retirer aux femmes ce qu’elles avaient mis au point dans ce domaine ; c’est à nouveau un pouvoir qui montre qu’il est différentiel et essentialiste c’est-à-dire lié à une différentiation sexiste homme/femme à laquelle on a ajouté des caractéristiques attachées à l’appartenance biologique et sociale affectée au sexe biologique.

Ada Lovelace

Et comme le pire est toujours à craindre avec ce début de XXIème siècle dominé par le retour des religions et leur cortège d’intolérance et du fascisme rampant ou installé, des totalitarisme à la mode chinoise, finissons par du tragique et non du happy end.

Hypatie

N’oublions pas Hypatie mathématicienne de l’antiquité grecque qui aura été la victime de l’intolérance religieuse chrétienne alors qu’elle aura commenté un certain nombre de traités mathématiques de son époque. Elle aurait apparemment été massacrée en 415 par des sectaires chrétiens, nous ne savons pas si c’était à cause de son impiété, de problèmes politiques ou de sa capacité à philosopher ? Tout en reconnaissant sa valeur intellectuelle, il était mal vu et venu de la part d’une femme de s’occuper « d’affaires d’hommes ». Une exécution qui remplit donc d’aise ceux-là mêmes qui ne pouvaient accepter qu’une femme soit des leurs et non content d’avoir été assassinée, il semblerait qu’elle aurait été découpée, son corps éparpillé et brulé pour ce qu’on pouvait en rester. L’intolérance religieuse et politique de notre époque pourrait à nouveau rééditer cette situation, avec certes, des méthodes nouvelles. Obscurantisme lié au complotisme pourraient bien nous renvoyer à des époques sombres pour les femmes mais aussi pour les hommes.

Ajoutons le triste sort de ces femmes des années 20, les « Radium Girls » autre nom des « dial painters » que l’industrie américaine sacrifia, employées à peindre des cadrans de montre avec de la peinture dopée de radium pour les rendre lumineux dans la nuit, et qui pour parfaire le travail portaient le pinceau à la bouche pour le rendre plus fin comme le leur avaient appris leur supérieurs, condamnées de ce fait à la mort à la suite de longues agonies ; le profit ne reculant devant aucun sacrifice des ouvrières masquant la dangerosité du radium alors même que c’était connu dès le début du XXème siècle. Femmes scientifiques ou mathématiciennes : non ; mais femme industrieuses exposées à la mort : oui.

Radium Girls

Toutes ces femmes ont montré par leur exemple que les femmes pouvaient prendre, et avaient toute leur place dans le monde des sciences et connaissances comme dans tous les secteurs de la société, elles ont été les égales des hommes et montrent malgré l’absence de leur participation à des luttes d’émancipation qu’elles pouvaient s’imposer face à la phallocratie, la patriarcat et la misogynie quitte à malheureusement en payer le prix. Les adversités auxquelles elles ont dû faire face ont pour noms : phallocratie, misogynie, racisme, racialisme, totalitarisme, obscurantisme religieux, exclusion. Les sciences qui se doivent d’être désintéressées ne l’auront pas été pour elles. Le poète dit que la femme est l’avenir de l’homme ; oui comme génitrice et en gardant sa place de mère, étouffant tout désir d’épanouissement dans les sciences pour ces femmes qui se veulent scientifiques, et le sont, le prouvant de haute lutte.

Patrice SCHILLER.