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Encyclopédie anarchiste
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1 – Dieu : histoire d’une majuscule de majesté.
Article mis en ligne le 18 juillet 2021
dernière modification le 19 juillet 2021

La tradition met un D majuscule à Dieu, différenciation oblige. Ne pas mélanger les torchons et les serviettes, le programme élitiste est bien connu. D marque la sortie de l’anonymat et de l’identification vernaculaire à une plante, un animal, un être quelconque.

Le nom propre évite aussi le surnom, le sobriquet désobligeant. Dieu est souvent accolé à une épithète glorifiante, louangeuse : Seigneur, Créateur, le Puissant… Le Coran pousse le bouchon le plus loin possible, impossible de l’évoquer sans le qualifié, la sobriété réformée n’est pas à l’ordre du jour. Interdit de le montrer, mais obligation de l’encenser, faut dire que sa Puissance peut réduire le locuteur à l’état de larve rampante sous le soleil de Satan (la péninsule arabique rôtie sous la Lumière divine).

Dieu comme nom propre désigne « une entité » considérée comme une personne possédant des qualités particulières et intrinsèques dont la connaissance n’est pas indispensable. La majuscule suffit à sortir du lot l’objet du discours. Elle rend hommage à sa Grandeur et à sa transcendance absolue. Nous l’avons vu Élohim introduit dès les premières lignes de la Genèse une difficulté majeure d’interprétation. L’unicité et l’unité de Dieu se fait sous le signe du pluriel (le « him » final ne fait aucun doute). Dès l’origine, l’Un est multiple, casse-tête pour les rabbins et leurs confrères et néanmoins concurrents en monothéisme. Une seule certitude, brevetée sans garantie : « c’est écrit donc c’est vrai ». Démerdez-vous avec les copistes. Tout le gratin théologique adhère à la thèse suivante : Élohim n’est pas le Dieu des dieux ni un concurrent sémitique à Zeus. Ce pluriel arrangera les pontes du christianisme dans leur justification de la Trinité. Dieu naît ambiguïté et mystère.

Impossible d’ignorer la contribution de Saul Kripke « la Logique des noms propres [1] » dans laquelle il triture à la sauce analytique anglo-saxonne une méditation microchirurgicale sur le nom propre. Je me contenterai de simplifier (à l’excès pour cause d’incompétence) les questions posées qui éclairent le D majuscule.

– Le nom propre met en jeu la question de l’identité, celle d’un corps et d’un esprit. Dieu, comme nom propre, n’échappe pas à la règle. L’absence de chair et d’os n’est pas une dé-preuve, les attributs évoqués plus bas comblent la contradiction. Le vide d’un attribut ne le réfute pas. Le gros-mot « identité » est lâché dans la géhenne post-adamique. D majuscule pose l’identité à la source de notre réflexion, n’en déplaise aux grincheux et aux néostaliniens de la novlangue.

– La dénotation (le fait de nommer) implique-t-elle une connotation ? Ex. le Saint-Empire Romain n’était ni saint ni romain et ce n’était pas un empire. Il a pourtant une identité labellisée. Kripke entre dans le vif du sujet « Dieu » — ce terme décrit-il Dieu comme l’unique être divin, ou bien est-il un nom de Dieu » [2] ? Chaud devant !

– Le nom propre n’est-il pas une abréviation ou un déguisement. L’imitateur parfait serait-il aussi l’original ? Peut-on déterminer un référent à un nom propre ? La description suffit-elle à qualifier l’identité ? Lune et Moon désignent-ils la même planète ? Le référent ici est parfaitement utile. Tous les Moïse sont-ils le Moïse du Sinaï ? Dieu est-il Dieu pour tout le monde ?

– Kant a raison de poser la question de savoir si Dieu est connaissable a priori.

– Le nom propre est un désignateur rigide. Du moins, dans nos langues indo-européennes. Si l’on prend le cas du chinois ou du coréen le nombre noms propres propre est limité. Même accolé à des prénoms sophistiqués, il n’est pas rare de trouver des milliers d’homonymies parfaites (nom et prénom). Ne pas oublier que l’hébreu et l’arabe ne connaissent pas l’usage de la majuscule.

– Tous les attributs de Dieu suffisent-ils à la qualifier ? Est-on certain, malgré les dizaines de milliers de pages consacrées à Dieu, que l’on connaisse tous ses attributs ? La découverte d’une nouvelle propriété remettrait-elle en cause le nom de Dieu déjà certifié vrai.

– Il ne suffit pas de dire Dieu pour affirmer Dieu (cf. Chestov « Athènes et Jérusalem »).

– Dieu (God, Gott, Deus, Dios…) est un fait linguistique, un acte de langage. Les Yavhistes avaient parfaitement compris le piège de nommer. En l’occurrence, nommer, prononcer est la première sécularisation (Cf. infra La conclusion). Vocaliser, c’est aussi un acte anthromorphique.

– L’apophatisme pour désigner Dieu abolit le discours. Sa logique poussée à l’extrême retourne à l’aphasie, à l’impossibilité de prononcer. Ainsi toute théologie strictement négative nie toute théologie, sa vérité est une forme d’athéisme proche d’une gnose muette. La négation tente d’éloigner les idoles, de les dissoudre, toutefois, gare à ne pas idolâtrer la négation : idolâtrer vs idéolâtrer. Les métaphysiciens ont plaqué la question de Dieu sur celle de l’Être, hellénisation a contaminé la pensée première du judaïsme. L’idolâtrie se fétichise, par exemple en marchandise (Cf. infra sur la sécularisation).

Lire la suite : Dieu indicible.