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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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4 – Retour de la logique.
Article mis en ligne le 18 juillet 2021
dernière modification le 19 juillet 2021

Peut-on parler de de Dieu ? surtout comment parler de ce que les sens n’appréhendent pas directement ? Deux solutions :

– Premièrement, admettre que le langage apporte des outils pertinents. Avec le risque majeur que Dieu soit un « acte de langage », un effet de style, un fruit exotique de la bonne vieille rhétorique. La question du nom, nous venons de le voir, n’est pas une mince affaire. A juste titre, Léon Chestov affirme qu’il ne suffit pas de dire « Dieu » pour affirmer Dieu. Ce nom n’est pas une garantie suffisante. Interrogation fondamentale que l’on peut appliquer à moult problématiques : transcendance, le néant, le tout-autre, le non-moi…

Difficulté déjà évoquée à propos de l’apophatisme qui consiste à dire ce que Dieu n’est pas. Façon subtile de minimiser les dégâts, en cas d’erreurs, que les théologiens utilisèrent sans complexe. Attention, cette méthode aboutit à l’exténuation du langage, une sorte d’aphasie théologique. « La théologie négative est négation de tout théologie. Sa vérité est l’athéisme » (Cl. Bruaire Le droit de dieu, 1974, p. 21). Cette répudiation du langage mène à un chemin de traverse plein de mystères. Toutefois, il est possible de considérer l’apophatisme comme une manière de garder ses distances et d’éviter de retomber dans l’idolâtrie (J-L Marion).

– L’autre méthode de discourir sur Dieu consiste à recourir à une logique argumentative irréprochable. Il suffit de jeter un œil curieux aux théologiens pour se rendre compte que la logique fait partie intégrante de leur batterie de cuisine. La meilleure façon de contrer un confrère reste de démontrer ses contradictions internes et de mettre en cause ainsi sa logique. Les plus redoutables furent les nominalistes, Guillaume d’Ockham en tête : « Tout discours concernant Dieu est donc dans la situation paradoxale d’un discours incapable d’accomplir une référence déterminée à son objet tel qu’il est en lui-même ». Bref, la science humaine ne peut qu’être muette sur Dieu, si elle parle, elle tombe dans un verbalisme creux.

Plus tard, Wittgenstein radicalisera la position. Le terme Dieu, au sens métaphysique, ne saurait donc avoir aucun sens, aucune méthode permettant de le vérifier empiriquement ne pouvant être proposée [1]. L’empirisme est la seule méthode et la seule source possible de la connaissance. La question métaphysique de Dieu et de la théologie sont renvoyées dans la grande poubelle de l’histoire des idées. La question de Dieu n’a pas de sens, elle s’effondre d’elle-même. Et pourtant, la glose sur ce sujet demeure. Les contre-feux (athéisme, matérialisme, agnosticisme…) n’ont pas éteint l’incendie. Le discours religieux persiste et signe, souvent, d’ailleurs, dans ses versions les plus détestables, bornées : traditionalismes, offensives évangélistes, islamismes, religions politiques ou économiques. Dans « Dieu existe-il ? », l’ir-révérent Hans Küng affirme : « l’homme doué de raison a le droit de savoir si ses prières et ses rites se rapportent ou non à une réalité autre que lui-même » (p.585). La théologie s’efface, ou fait plutôt, fait croire qu’elle s’efface devant l’étude du fait religieux aseptisée par la caution académique. (Cf. le Dictionnaire du fait religieux, PUF). La question de Dieu convient parfaitement à un discours athée du dernier chic.

– La philosophie contemporaine a engrangé et, plus ou moins bien, digéré les complexifications du XXème et XXIème siècles. Dieu devient un « objet [2] » de réflexion multidisciplinaire presque intersectionnalitaire [3] sous la forme de l’hypothèse onto-théo-logique. Théologie et logique : Aristote, Leibniz… toujours vivants !

La problématique obligatoire de quantification, la pierre angulaire de la logique et de l’ontologie, se heurte à la question des immatériaux. Comment parler de Dieu en temps que chose (par pudeur et/ou par peur des fatwas, les penseurs labellisés préfèrent parler de l’être et de l’étant [4] – c’est un autre sujet). L’ontologie est la science de la chose en tant que chose, donc de la réalité de la réalité. Moment douloureux pour les bien-pensants et les bien-penseurs, ils durent forger une subtilité nouvelle : l’ontique, c’est à dire la science de l’objet en tant qu’objet perçu. Être et étant, les deux mamelles de la métaphysique et de la philosophie occidentale, sont préservés ainsi du monde vulgaire, ouf !

Il faut bien un concept de Dieu, sinon la philosophie occidentale serait à la « ramasse », un triste pantomime coupé du bas-peuple repu de rites et de croyances. L’élite savante trouve dans ce concept une bouée de secours, le viatique de l’intello. Faut-il se poser la question de l’existence de la chose « Dieu » ? Piège redoutable qui conduit à la litanie des preuves de l’existence ou de l’inexistence de l’objet étudié. L’hegelo-connerie a trouvé la réponse imparable, l’objet devient sujet à partir du moment où on l’érige comme concept. Le cartésianisme, cette maladie endémique de notre civilisation, avait aussi esquissé une réponse célèbre : « J’en parle, donc cela existe », on le sait depuis la Genèse, la parole est créatrice.

Pour les amateurs [5] de panzerphilosophie, je ne résiste pas au plaisir sadique d’une citation du Maître, extraite de Métaphysique et Logique (Iéna 1804-805) : « L’infinité est, en vertu de son concept, le sursumer simple de l’opposition, non pas l’être-sursumé, qui est le vide en face duquel se trouve l’opposition elle-même ; la contradiction absolue de ‘infini détruit l’opposé dans le simple, mais le simple n’est simple que dans la mesure où il sursume cet opposé et est soi-même à partir de son devenir-autre ;…(j’arrête la citation par compassion, la phrase continue encore huit glorieuses lignes) p.58.

Lire la suite : L’immatérialité