Dans l’usage qui en est ordinairement fait dans ses différentes déclinaisons, le concept de rapport social désigne un principe de division d’une formation sociale de dimension macro et de portée politique. Chacun des termes de cette définition nécessite quelques éclaircissements.
Par principe de division, nous entendons un ensemble de processus qui tendent à séparer la totalité des membres d’une formation sociale en deux ou plusieurs groupements, non seulement différenciés par les attributs sociaux (ressources, rôles et statuts, positions et dispositions, etc.) de leurs membres respectifs mais encore hiérarchisés entre eux (tout rapport social comprend donc des dominants et des dominés) et, de ce fait, engagés dans une lutte perpétuelle, la plus sourde et latente mais pouvant à l’occasion devenir manifeste et ouverte, aux formes et modalités multiples. Cette lutte empêche les rapports sociaux de se fixer et plus encore de se figer dans une forme ou formule définitive.
Les groupements ainsi définis n’existent, quant à eux, que dans et par ce principe de division que constituent le rapport social ou les rapports sociaux qui leur donnent naissance et qui les déterminent en permanence. C’est d’ailleurs tout l’intérêt du concept de rapport social que d’éviter ainsi de fétichiser ces groupements, que ce soit en les réifiant (substantifiant) ou en les personnifiant, le plus souvent les deux à la fois. Le concept de rapport social permet d’affirmer et de comprendre que ces groupements n’existent que dans et par les rapports qui les constituent, qui possèdent de ce fait sur eux une primauté à la fois logique et ontologique.
Les processus visés par le concept de rapport social sont, à chaque fois, de portée macro (selon le cas : économique, sociologique, politique, idéologique, etc.) Ils concernent et mettent en jeu, autrement dit, la formation sociale considérée dans sa totalité, ce que Georges Gurvitch nommait la « société globale », en tant qu’elle constitue une unité résultant de l’organisation de l’ensemble des interrelations entre ses membres, chaque rapport social constituant précisément un moment (un élément composant) de cette organisation.
Les différents rapports sociaux concourent ainsi à constituer et à définir le pouvoir politique au sein de la formation sociale considérée. J’entends ici par pouvoir politique la monopolisation (toujours partielle et toujours réversible), par une partie des membres de la société, de la puissance sociale : de la capacité de la société globale d’agir sur elle-même, de s’auto(re)produire : la capacité de se diriger (de se fixer des finalités), de s’organiser (de se fixer ses normes et ses règles) et de se contrôler. On aura compris que le pouvoir politique ainsi entendu comprend un champ bien plus large et des formes bien plus variées que celui et celles que recouvre habituellement l’Etat qui, lorsqu’il existe, n’en est au mieux que le noyau.
Les quelques lignes qui précèdent laissent clairement entendre qu’il existe, dans toutes les sociétés humaines, une pluralité de rapports sociaux. Car aucune de ces sociétés, même les plus simples, ne se laisse réduire à un unique principe de division interne. Cette pluralité fonde la différence entre rapports sociaux et relations sociales (interindividuelles), au-delà de la différence entre les niveaux d’analyse de la réalité sociale auxquels renvoie ces deux concepts (respectivement le niveau macro et le niveau micro). Cela signifie notamment qu’une même relation sociale peut mettre simultanément en jeu une pluralité de rapports sociaux précisément, selon une configuration qui demande à être analysée à chaque fois.
Ce constant posé, reste le problème de l’articulation entre les différents rapports sociaux au niveau macro, qui est leur niveau spécifique d’existence. Cette articulation ne peut se concevoir que sur la base des trois présupposés de leur autonomie relative (les différents rapports sociaux disposent chacun d’une autonomie relative au sein de leurs déterminations réciproques), de leur hiérarchie (dans le jeu de leurs déterminations réciproques, certains rapports sociaux peuvent avoir plus de poids et d’importance que d’autres, sans que ces derniers n’en perdent pour autant leur spécificité et leur autonomie relative) et de la relativité spatio-temporelle de leurs configurations d’ensemble (leur degré d’autonomie tout comme leur hiérarchie sont variables dans l’espace et le temps, selon la forme ou le type de société globale considérée).
Alain Bihr
Corrélats : Classes sociales ; Pouvoir politique ; Rapports de classes ; Rapports de génération ; Rapports capitalistes de production ; Rapport de production ; Rapports de sexe ; Rapport social.