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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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V – Le Congrès de Gdansk face à l’État
Article mis en ligne le 28 novembre 2022
dernière modification le 30 novembre 2022

Par souci de démocratie, une pratique originale, testée dans des congrès régionaux, est pratiquée pour le Congrès de Gdansk qui se déroule en deux parties :
→ Première partie : les délégués, mandatés sur les textes discutés dans les entreprises, adoptent ceux faisant l’objet d’un large consensus. Lorsque s’expriment des échanges contradictoires, amenant de nouveaux éléments de réflexion et des propositions alternatives, une commission est chargée chargée de les rédiger.
→ Deuxième partie : Ces nouveaux textes sont envoyés aux sections de base, qui mandatent leurs délégués pour la seconde partie du Congrès, quelques semaines plus tard.
« Jusqu’où on va ? » est la question que tous se posent dans un environnement de tension extrême : → en interne : le fossé entre l’intelligentsia modérée, « experts » liés le plus souvent à l’Église, et le radicalisme ouvrier refusant l’auto-limitation, s’est définitivement creusé
→ en externe : La Pravda condamne « un mouvement social poursuivant des objectifs anti-socialistes » et Moscou met la pression sur le POUP qu’il accuse d’« avoir cédé à la contre-révolution intérieure ».

Première partie du Congrès (4 – 10 septembre)
Le Congrès se déroule alors que des manœuvres des troupes soviétiques (100 000 hommes) se déroulent aux frontières orientales de la Pologne et que l’appareil du Parti et de l’État reçoit des armes en cas de conflit avec Solidarność, qui commence à mettre en place des gardes ouvrières.
Deux extraits du quotidien Glos Wolny (« La Voix libre »), quotidiennement mis à la disposition des délégués :
4 septembre : « Le Congrès s’ouvre dans une situation dramatique de désorganisation totale de l’économie et d’énormes tensions sociales ».
8 septembre : « Le syndicat a le choix entre trois voies :
1 – se limiter à des activités proprement syndicales ;
2 – collaborer avec tout le monde pour sortir le pays de la crise, sans poser de conditions ;
3 – prendre tout sous son contrôle.
Je considère que seule la troisième voie est réaliste », W. Wesolowski (Lublin).
Les décisions essentielles :
→ Référendum national dans les entreprises sur le projet d’autogestion
→ « Adresse à tous le travailleurs de l’Est », acte internationaliste retentissant :
« Les délégués réunis à Gdańsk saluent et expriment leur soutien aux travailleurs d’Albanie, de Bulgarie, de Tchécoslovaquie, de la République Démocratique Allemande, de Roumanie, de Hongrie ainsi qu’à tous les peuples de l’Union soviétique.
Premier syndicat indépendant dans l’histoire d’après-guerre, nous ressentons profondément à quel point nos destins sont liés. Nous soutenons ceux qui, parmi vous, ont décidé de se battre pour obtenir des syndicats libres. Nous sommes persuadés que bientôt nos représentants et les vôtres pourront se rencontrer pour partager leurs expériences syndicales »
(extraits).

Pendant le Congrès arrive une information sur la constitution d’un « Comité d’initiative pour la fondation d’un syndicat indépendant autogéré en République socialiste tchécoslovaque ».

10 septembre : « Ce congrès est une orgie anti-socialiste et anti-soviétique », Agence Tass.

Vers l’épreuve de force ?

Basé sur les délégués des grandes entreprises conscients de leur force, la forte majorité au Congrès du courant le plus déterminé angoisse le pouvoir et ses alliés :
« Les autorités de la Pologne Populaire ont mis en garde Solidarność à maintes reprises contre les éléments destructeurs et anarchistes qui se trouvent dans leurs rangs et participent à leurs actions. Il est dans l’intérêt de la nation et de la Pologne indépendante de brider les forcenés politiques. Nous défendrons le socialisme, l’État usera des moyens nécessaires.
La ligne gagnante de la première partie du Congrès a été celle de la construction d’une organisation politique cherchant ouvertement à prendre le pouvoir et à changer le système politique en Pologne »,

le POUP.
Le Parti menace les travailleurs polonais d’un « bain de sang si Solidarność persiste à se comporter en mouvement d’opposition cherchant à renverser le pouvoir ».
La tonalité radicale du Congrès augurant de la non-élection de Walesa à la présidence du Syndicat, la minorité, soutenue par l’Église, laisse entendre qu’elle créerait un syndicat chrétien-démocrate, brisant ainsi l’unité ouvrière.

25 septembre : la veille du début de la seconde partie du Congrès, Walesa et le gouvernement adoptent un texte commun sur l’autogestion, voté aussitôt à la Diète :
« Ce syndicat n’a pas été créé pour passer des compromis mais pour écraser le système totalitaire de notre pays », Jan Rulewski, Bydgoszcz.

Deuxième partie du Congrès (26 septembre – 7 octobre)
Quatre représentants d’un syndicat, non légalisé, déclarant représenter 42 000 miliciens, affirment qu’ils ne se laisseront pas utiliser comme en 1956, 1970 et 1976.
Les décisions essentielles :
→ Motion dénonçant le compromis du 25 septembre, cette « violation de la démocratie syndicale » et mettant en cause « le pouvoir occulte des experts  ».
→ Élection à la présidence : afin d’éviter la création d’un syndicat chrétien-démocrate, Walesa obtient 55 % des votes,. Mais il sera très minoritaire à la nouvelle KKP dans toutes les décisions prises jusqu’à l’état de guerre.
→ Adoption du programme pour une République autogérée (« Rzecszpospolita samorzadna ») modifiant totalement la vie économique et politique, notamment la mise en pratique généralisée de l’autogestion.
« Ce n’est pas le document d’un syndicat, mais le manifeste d’un parti politique qui réclame la direction de la société et du pays  », Agence Tass.
Plus tard Zbigniew Kowalewski analysera :
« Il y avait une lutte souterraine entre le courant radical du mouvement autogestionnaire des entreprises et les éléments conciliateurs envers la bureaucratie, entre les partisans et les adversaires de la démocratie ouvrière, de l’indépendance envers l’Église catholique, de la lutte pour le pouvoir des travailleurs ».

L’État entre en guerre (13 décembre 1981)
18 octobre : le général Wojciech Jaruzelski premier ministre, est nommé en plus secrétaire du comité central du POUP, entérinant la main-mise de l’Armée sur le Parti.
Après avoir prévenu seulement les États-Unis et l’Allemagne fédérale, Jaruzelski instaure la loi martiale dans la nuit du samedi 12 au dimanche 13 décembre :
« La démocratie ne peut être affirmée et développée que dans un pays fort et soumis à la loi. L’anarchie est son ennemi ».
Le chef de l’Eglise, Jozef Glemp, lance un appel à la soumission, retransmis par radio :
« Je demanderai, même si je dois le faire à genoux et les pieds nus, qu’un Polonais ne lutte pas contre un Polonais. Ne donnez pas vos têtes, frères ouvriers et travailleurs des grandes entreprises ».
Jaruzelski crée le Conseil militaire de salut national (WRON), qui a tout pouvoir pour arrêter, exécuter, interner, censurer.

« Solidarité combattante », créée en 1982 par Kornal Morawiecki, coordonne des groupes clandestins dans tout le pays pour continuer à lutter contre le régime totalitaire. Ses slogans : « Libres et solidaires », « Pour la liberté des peuples et des nations ». Elle diffuse des informations, éditions, enregistrements audio, organise des manifestations et des grèves, passe en fraude du matériel électronique et d’imprimerie.
Aidant activement les luttes en Europe de l’Est, elle envoie des militants en Lituanie, Lettonie, Estonie, Ukraine, Moldavie, Georgie, Kazakhstan, Arménie, Azerbaïdjan et publie des textes en langues tchèque, russe, hongroise et ukrainienne.

Mais la révolution n’a pas eu lieu : l’État, l’Église et les tenants du capitalisme d’État et du capitalisme libéral dans le monde sont soulagés.