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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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Transidentités : d’une persécution séculaire à une singularité décriée II/II
Karine Snepmac, décembre 2023
Article mis en ligne le 10 mars 2024
dernière modification le 13 mars 2024

“Ne doutez jamais qu’un petit groupe de gens décidés puisse changer le monde” Margaret

(…) Le modèle des deux sexes

Le modèle des deux sexes a émergé au XVIIIe en occident siècle avec le discours de la science et est fondé sur l’idée d’une opposition binaire entre les hommes et les femmes. Dans ce modèle, les hommes et les femmes sont considérés comme deux espèces distinctes, avec des corps, des esprits et des rôles sociaux fondamentalement différents.

Apparaît alors un discours sur la sexualité qui vient asseoir des normes de corps et de pratiques, hétérosexuelle, qui assurent les besoins de procréation d’un capitalisme naissant qui a besoin de main d’œuvre. Les actes sexuels hors dessein procréateur continuent à être considérés comme des vices ou des péchés et relèvent, encore, de la catégorie juridique « sodomie ».

De la religion à la science même phénomène : avec la norme des deux sexes naturalisés apparaît la règle ;les transgressions sont désignées comme des pratiques perverses, qualifiées de pathologique par la médecine de l’époque.

Le modèle deKropotKine2024s deux sexes est fondé sur l’idée d’une opposition binaire entre les hommes et les femmes. Les hommes et les femmes sont considérés comme ayant des corps, des esprits et des rôles sociaux fondamentalement différents. La différence sexuelle est une question de nature : les hommes et les femmes sont considérés comme des êtres dont la différence est immuable.

Il vient conforter et justifier l’inégalité entre les sexes ( la logique binaire rajoute à la hiérarchie), il sert de base à la construction de normes sociales et de rôles de genre à partir du sexe, institue l’hétérosexualité obligatoire qui devient une institution politique, une hégémonie et ce que Derrida appelait le « phallogocentrisme » : une domination masculine (avec le phallus posé comme transcendance) qui fait vérité, tradition et à laquelle chacun est assujettit. Le terme sera repris par Mélanie Klein, psychanalyste et par Luce Irigaray qui décrit un discours masculiniste désignant le corps féminin comme altérité radicale, irreprésentable. Il y a, dans ce discours, acte d’effacement du féminin.

L’identité sexuée, le sexe biologique et la sexualité concordent nécessairement. Seuls les intersexués, dits hermaphrodites posaient question à cette norme instituée, une question à laquelle la réponse sera non la fluidité, mais l’assignation de sexe et d’identité forcée.

Ainsi Foucault [1] nous rappelle qu’avant le XVII ème siècle, les hermaphrodites (intersexes), qui étaient assignés à leur naissance selon le sexe qui semblait le plus vigoureux, avaient la possibilité de changer de sexe à leur majorité. Ce n’était possible qu’une fois cependant : un autre changement de sexe les plaçait systématiquement dans le camp des sodomites. Avec l’assignation identitaire point de salut : l’hermaphrodite est tel qu’on le désigne. Au XVIIIème siècle, il peut être accusé de vouloir utiliser les deux sexes, d’être sodomite et être condamné à mort [2] ou à la flagellation s’il ne se conformait pas au genre que lui assignait la justice.

Les pratiques de travestissement persistent cependant, femme vers homme ou homme vers femme comme en témoigne l’histoire du Chevalier D’Eon, né Charles Geneviève.

La première personne trans dont on ait un témoignage écrit est Herculine Babin, née intersexuée en 1838 en France qui a écrit ses mémoires. Nous sommes au 19ème siècle et Herculine a été élevée comme une fille dans un couvent, jusqu’à que de violentes douleurs l’amène à consulter un médecin qui conclut que ses maux proviennent d’une non descente d’un testicule. Un second médecin la déclarera pseudo hermaphrodite et la réassignera homme.

À l’âge de 22 ans, la voilà réassignée et nommé Abel, obligée de quitter sa vie de femme enseignante subissant insultes et calomnies. Iel a finalement mis fin à ses jours à l’âge de 29 ans, seule à Paris dans la misère. Un acte qui fait suite à ce qu’on peut appeler une descente aux enfers : la honte et l’exclusion.

En reprenant l’histoire d’Herculine, Foucault, qui préface l’édition de ses mémoires, souligne que l’acharnement de la médecine à vouloir trouver le « vrai sexe « va la mener au suicide. En lui assignant un sexe qui ne correspond pas à sa perception subjective, en l’assujettissant dans une identité qui légitime la partie « mâle » d’elle-même, on la renvoie à un impossible être soi. Il lui est refusé la possibilité d’une identification propre, d’une construction subjective singulière.

Le XIXème siècle est unepériode paradoxale : l’urbanisation permet l’expression nouvelle, dans la masse, d’identité sexuelles hors normes ; avec la colonisation, les européens se confrontent à des expressionsde genre différentes, horsbinarisme.Par ailleurs, l’étude des hormones démontre que la différentiation masculin-féminin n’est pas si simple, qu’il y a des hormones femelles chez les hommes et des hormones mâles chez les hommes.

Pour autant, l’homosexualité s’appelle « pédérastie » et est considérée comme une perversion morale, il y a une idéalisation du binarisme avec la notion « d’atteinte aux bonnes mœurs » ou « d’outrage public à la pudeur » qui s’affirme dès qu’une pratique sors de la norme, avec une judiciarisation de la sexualité. Les membres de l’institut La Boétie évoquent « le raidissement médico-légal contre toutes les divergences de sexe et de genre du XIX­ème siècle ».

Le XXème siècle est celui de plusieurs révolutions. Avec le féminisme apparaît la notion de sexe social : Simone de Beauvoir affirme « on ne naît pas femme, on le devient » et Margaret Mead a introduit le terme de « sexe social ». Pour elle, au-delà dela différence des sexes biologiques , les hommes et les femmes ne sont pas fondamentalement différent : les hommes jouent à être des hommes, les femmes jouent à être des femmes. Elle a cette pensée, et les anthropologues avec elle, que l’identité peut différer du sexe biologique et de l’assignation sociale à la naissance. Puis viendront la « révolution sexuelle » avec ses apports et ses dérives et la lutte des homosexuels pour leur droits qui participent d’un dégagement de la logique binaire.

Social Historique et déconstruction des normes

Cette idée d’une non-concordance entre le sexe biologique et le sexe social a permis de penser le fait que le genre varie en fonction de l’approche que l’on a du sexe dans une société donnée et en fonction des époques. C’est à dire que toutes les sociétés assignent, mais pas de la même façon : être « mâle » ou « femelle » passe par la culture. Il y a bien sûr le fait naturel, mais l’humain l’interprète en créant normes et interdits et ce qu’on peut appeler un ordre symbolique. Ni sacré ni « naturel »,celui-ci est l’expression de l’hétéronomie : de normes et de valeurs que construit une société, avec entre autres les logiques de filiations, les rôles sociaux, normes et valeurs qui ont vocation à être bousculées et modifiées. En continuité, l’idée a surgit que le genre pouvait varier également en fonction du sujet lui-même : les identifications et la construction identitaire peuvent être dégagées des assignations. Dans la suite des luttes féministes, les luttes homosexuelles puis trans et queer rendent plus visibles les vécus identitaires qui sortent de la norme, et le vocabulaire se modifie et se précise au fur et à mesure que la parole circule.

John Money, psychologue et sexologue néozélandais est l’initiateur du terme d’identité de genre et de rôle de genre Le modèle polyfactoriel de construction de l’identité de genre repris par R. Stoller [3]permet d’en reconnaître la diversité, de dépasser la représentation binaire catégorielle. Les transgenres visent à dépasser les catégories du genre culturellement définies. Pas forcément engagés dans une démarche de changement de sexe, ils s’orientent subjectivement vers un changement de rôle de genre, masculin ou féminin ou contestent la nécessité de choisir l’un ou l’autre genre en rejetant la dichotomie elle-même.

Le terme transexualité quant à lui est originairement une catégorie médicale et n’apparaît qu’avec la possibilité chirurgicale et hormonale de changer de sexe. C’est en 1953 qu’apparaît le terme dans une revue de sexologie [4]par un médecin endocrinologue alors que les premières opérations opération chirurgicales avaient eu lieu en Allemagne en 1918 (une masectomie) et en 1921 (une pénéctomie) par Magnus Hirschfield . Pour Harry Benjamin « Le transsexualisme est une entité nosographique qui n’est ni une perversion ni une homosexualité. C’est le sentiment d’appartenir au sexe opposé et le désir corrélatif d’une transformation corporelle ». Il la définit ainsi en 1953 : « Les vrais transsexuels ont le sentiment qu’ils appartiennent à l’autre sexe, ils veulent être et fonctionner en tant que membres du sexe opposé et pas seulement apparaître comme tels. Pour eux, leurs organes sexuels, primaires (testicules) aussi bien que secondaires (pénis et autres), sont de dégoûtantes difformités devant être changées grâce au bistouri du chirurgien ».

Le terme a été repris par la psychiatrie comme terme pathologisant (troubles de l’identité sexuelle,- perversion sexuelle) repris également par des psychanalystes comme Colette Chiland qui considère la transsexualité comme une « maladie du narcissisme ». Il faudra attendre 2010 pour que la transexualité ne soit plus une maladie mentale (OMS).

L’histoire permet de repérer que, n’en déplaise aux femmelistes, il y a toujours eu des femmes avec pénis et des hommes sans. Ce n’est pas un effet du néo-libéralisme ou d’un désir d’illimité liée à notre modernité. Ainsi la question trans ne peut être renvoyée et réduite à la question de la propriété de soi développée par le libertalisme (Nozik). Bien plus complexe, elle dévoile en questionnant les « allants de soi » et témoigne du rapport du social à la norme et à l’exclusion, du contrôle social, ecclésiastique et judiciaire comme phénomène de pouvoir et des rapports de dominations à travers les siècles sur la question du sexuel.

Et aujourd’hui ?

Véra vient me voir dans mon cabinet de psy, née homme devenue femme, ouvrière dans un milieu essentiellement masculin, qui l’a vu passer d’un sexe à l’autre non sans remous. Elle me racontera ses doutes d’enfant, puis adolescent, doutes qui prendront alors la forme de la bisexualité. Sa honte, les impossibles confidences à ses copains et à sa famille, sa détresse, puis son éloignement au plus loin de chez elle et au plus près de Paris. Il y aura les violences, verbales et physiques : si t’es pas un homme j’te baise sinon vient te battre ! » lui lancera goguenard un de ses camarade de travail qu’elle pensait être un ami. Elle assumera sa transition dans ce milieu plutôt viriliste, tiendra bon malgré les rejets en particulier celui de son père et de l’un de ses frère, malgré les insultes et agressions. Elle trouvera cependant quelques compagnons de travail pour la soutenir pendant ces années et un compagnon de vie aimant.

Je reçois des enfants qui interrogent sans cesse différence des sexes et genre. Il y a Laurie qui joue à être chevalier et surtout pas chevalière, dont on dit qu’elle est un garçon manqué parce qu’elle aime tout autant la marelle et les billes et qu’elle ne veux pas qu’on l’embête. Décidément active, elle ne se retrouve pas dans le rôle de genre qui lui est attribué : en rose bonbon et passive ; Raoul qui a des symptômes dits d’agitation qui s’apaisent dans mon bureau dès lors qu’il peut pouponner, mettre en scène le soin porté sur un autre. Le père ne pouponne pas, ne prends pas soin : il est absent ou humiliant : il lui interdit tout jeu qui pourrait relever du féminin et il n’est pas question d’en discuter. Alors privé de la possibilité d’élaborer ses tendances agressives mais aussi soignantes, (dites « viriles » ou « féminines » selon les normes de notre histoire sociale), il s’agite car en prise directe avec l’angoisse.

Les adolescents questionnent le monde, ses normes et ses valeurs, se révoltent et se cherchent, s’arrachent au monde de l’enfance parfois dans la douleur. Pour certains adultes, la revendication transidentitaire ne ferait que participer du mouvement adolescent, pour revenir vers la norme.Ce qui est exact est que les remaniements identificatoires ne sont pas sans angoisse, ni sans remise en cause parfois, du genre assigné, voire du sexe biologique. « Je me sens homme parfois », me dit Maëlle, grande phobique et adepte des jeux vidéoqui lui permettent une vie sociale à distance. Elle y lie relations amicales et amoureuses, mais toute rencontre réelle, toute prise sous le regard de l’autre la terrifie. Il y a, à l’adolescence toujours un décalage entre le vécu subjectif et les stéréotypes de genre dans le champ social qui assigne le sujet, le promet à un rôle social. « Est ce que je suis vraiment une vraie fille ou un vrai garçon ? » est la question adolescente en prise avec les modifications corporelles.

Il y a aussi parfois la détestation du corps sexué àla puberté, une difficulté d’appropriation de ce corps qui change : tous les adolescents interrogent ce corps changeant.La transidentité pourrait être une réponse au moment dépressif propre à l’adolescence, auquel cas nous serions sur une identification transitoire.Car puisque les questions trans sont posées dans le champ social et sont plus visibles, la transidentité est une possibilité qui s’ouvre, comme d’autres.

Alors on peut imaginer qu’il y aurait, à l’adolescence, un risque de fascination par un discours idéal « trans » sur les réseaux sociaux qui viendrait remplacer le discours normatif. . Parfois, c’est parce que ce qui lui arrive ne prends pas sens que l’adolescent s’appuie sur une identification qui le renomme autrement, en cherchant à se dégager .de positions identificatoires aliénantes desquelles il ne peut s’extraire autrement. Puis cela passe, parfois ; Et parfois non, car l’identification « trans » vient répondre à une problématique ancienne, de l’enfance et permettre une stabilité.

L’importance d’avoir du temps pour soi, un temps d’élaboration qui se soutient d’une écoute non normalisatrice pour trouver son chemin propre peut permettre de ne pas prendre pour une identification de genre (masculin-féminin-trans) définitive une identification incertaine. Mais ce peut être un temps aussi pour s’accepter et se reconnaître dans ses identifications et son identité sexuelle et sexuée quelle qu’elle soit, un temps qui ne vise pas un retour à la norme sexuelle, qui ne présume pas du désir et du destin du sujet.

Des dispositifs d’accompagnement spécifiques sont pensé avec un parcours de réassignation possible, mais plutôt dans la prudence. Les cliniciens n’ont pas attendu les recommandations transphobes de l’observatoire de la petite sirène pour être prudent dans leur écoute. Un observatoire issu de la manif pour tous, des militants royalistes et des associations catholiques d’extrême droite, et qui par ailleurs n’hésite pas à proposer des thérapies de conversion prônant comme objectif de thérapie de première intention l’acceptation du sexe biologique, re-pathologisant la question trans. [5]

ll n’y a pas, ni dans les cabinets de psy ni dans les consultations proposées aux enfants et adolescents en quête d’identité sexuée, d’urgence à agir sur le corps et à engager un changement de sexe. Le mensonge réactionnaire crie au scandale et affirme qu’est proposé d’emblée un parcours de transition ; c’est inexact : le temps est requis pour que puisse s’élaborer :passé, deuil de l’enfance et désir de devenir, et que l’enfant puisse interroger son désir.

Il peut y avoir donc des identifications transitoires, et aussi des personnes fragiles, qui s’y collent, à l’identité trans, pour pouvoir tenir dans le monde. Et ce sont des solutions subjectives tout à fait valables, comme celles qui ramènent aux normes du féminin et du masculin.Mais certains psy s’en saisissent pour balayer d’un revers de main la possibilité d’une subjectivité trans qui ne serait pas pathologique.

Thamy Ayouch, psychanalyste, relève quelques perles d’injures diagnostiques ( portée dans le cadre d’une relation asymétrique, de pouvoir et de savoir hégémonique) que je vous livre : « narcissisme pathologique (Lesourd, 1999), à l’ « immaturité sexuelle » (Bergeret, 2003, p. 37), des « homophiles » pré-oedipiens régressifs, dépressifs ou psychotiques (Bergeret, 2003, p. 32, 36, 37 et 39), des modificateurs symboliques d’enfants (Winter, 2000), pervers (Schneider, 2002a), hitlériens (Legendre, 2001), vengeurs (Pommier, 2002, p. 81), imposteurs (André, 1993), vains assaillants de la loi phallique du Père (Reznik, 2006, p. 45) » [6]

L’injure diagnostique c’est aussi ce que subira Laura lorsqu’elle consultera un psychiatre car elle se sentait homme. Elle viendra me voir quelque temps en se posant la question d’une transition. Également rejetée par une famille perdue de la voir si étrange, elle vit seule et investit ses études au point de ne jamais sortir. Le regard posé sur elle la terrifie. Dans son travail d’élaboration, elle pourra évoquer que la découverte de la différence des sexes l’avait terrifiée et qu’elle cherchait pourquoi son sexe à elle ne poussait pas. Un sentiment d’étrangeté qui ne l’avait jamais quitté.

Ces psychanalystes pour lesquels « l’oedipe » vient « normaliser » le sujet dans son rapport au sexuel et au social parleront de déni de castration, pathologisant son parcours. Au regard de ses vécus d’étrangeté récurrents pendant toute son histoire, J’envisagerai plutôt une non adéquation entre l’ identification à l’image du corps produite par le stade du miroir, qui fait unité et la découverte ultérieure de la différence des sexes. Laura après quelques mois a pu ressortir, affronter le regard des autres et se faire des amis. Elle est partie dans le sud et, aux dernières nouvelles, avait pris date, sans angoisse, pour une hormonothérapie.

La construction psychique d’un soi sexué s’appuie sur le corps mais ne s’y résume pas. Par ailleurs, les destins anatomiques sont aussi variables.Si l’anatomie via les chromosomes entre en jeu dans le destin, elle n’est pas suffisante. Déjà, du seul pointd e vue du biologique, le fait d’être un embryon XX ou XY ne suffit pas à faire destin : selon Didier Lippe « Si le sexe anatomique est fixé dès cette première rencontre (des gamètes (…) sauf en de rares exceptions), l’imprégnation hormonale, elle, peut être variable d’un individu à l’autre et influer différemment sur certains traits de la personnalité et du comportement, socialement plus marqués féminin ou masculin. » [7]

Anne Fausto Sterling [8], biologiste, au regard des variations sexuelles diverses qui existent dans la réalité, propose dans un livre et sous forme de provocation qu’il y ait au moins 5 sexes :mâle, femelle, « herm », (hermaphrodite vrai, avec des ovaires et des testicules), « merm » (pseudohermaphrodite mâle avec testicules, pénis et ovaires) et « ferm » (pseudohermaphrodites femelles avec ovaires, sexe féminin et testicules). Serge Hefez, psychanalyste, parle également de 5 sexes : le sexe anatomique le plus souvent mâle ou femelle, le sexe chromosomique qui n’est pas toujours si différencié que ça et comporte des anomalies, le sexe hormonal également fluctuant, le sexe social (homme ou femme) et le sexe psychique qui fait identité sexuée. Et avec ces 5 sexes, leurs mouvements, leurs interactions, leurs transformations, des milliards de combinaison, une diversité des corps, de multiples particularités par rapport à la norme. Vous avez dit binarité ?

La souffrance des personnes que j’ai reçues relève moins de la non-congruence de genre que des violences, rejets, insultes et stigmatisations qu’elles ont vécus ; En 2019, une enquête de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne note que plus de 80% des personnes trans ont songé au suicide et 42 % ont fait des tentatives. [9]Avec la réponse réactionnaire la pathologisation fait son retour, relançant les discriminations et les rejets. Il faut le dire et le redire : la difficulté d’appropriation du corps n’est pas une maladie, c’est une expérience commune. La relation du sujet avec son corps est toujours complexe et ce que viennent dire les personnes en questionnement est cet embarras d’un corps qui se pose comme énigme dans une société figée dans sa binarité.

C’est bien parce qu’il n’y a pas ou peu d’écoute dans le champ du social pour les personnes hors normes quant à leur identité sexuée que la détresse psychique persiste.La modernité apporte des réponses qui modifient les discours et mets sur le devant de la scène sociale la problématique Trans. Cette exigence qui peut être aussi exigence d’immédiateté inquiète, ravive les défenses du corps social qui se rigidifie et relance le discrédit et la pathologisation.

Ainsi cette nouvelle visibilité n’ aide pas forcément les personnes trans. Certes, elles peuvent maintenant s’exprimer et faire communauté, mais elles subissent aussi de façon majorée l’opprobre et le rejet de ceux pour qui ils font étrangeté. Tout est bon, de l’injure diagnostique à la diabolisation politique:c’est un effet pervers du libéralisme, une idéologie libertalienne...

Parmi eux les tenants d’une identité sexuelle naturalistes qui ont une référence directe à la nature qui fait ordre impérieux et immuable risquant d’aller dans le sens de la doxa réactionnaire qui a en horreur toute altération du social.

Il y a aussi les tenants de l’ordre moral psys qui hurlent à la toute-puissance et au libéralisme lorsqu’il s’agit d’invention de soi et de subversion, qui appellent à une norme structurelle et universelle sensée faire loi pour tous : la binarité et la fétichisation de la différence des sexes. Des psys qui n’entendent rien au pluriel du monde et ne se réfère qu’à un sens Un, déterminé et transcendant.

Les positions trans et queer sont aussi décriées dans les mouvements anarchistes, en lien avec la posture agressive d’une minorité active autoritaire Queer et Trans qui voudrait faire table rase du passé, refuse la controverse pour privilégier l’attaque agressive. Leur discours qui s’appuie sur une idéologie dogmatique (extraite pourtant de théories qui ont un potentiel émancipateur, détournées voire retournées), est gouverné par une logique d’ assignations qui forme pour eux une vérité et un idéal qui ne s’accorde pas avec la coexistence d’autrui : des autres auxquels ils récusent aussi toute construction singulière. Minorité qui impose de nouvelles normes cognitives, affectives et comportementales indiscutables, avec une rhétorique qui recherche le K.O verbal [10]en disqualifiant l’autre dans son identité, des stratégies discursives qui visent la destruction du discours de l’interlocuteur (interdiction de parole, refus de l’argumentation, critique de l’expression, réfutation systématique…).

Cette posture est pensée par Renaud Garcia [11]comme résultant de l’abandon de la question des communs et de la lutte contre l’état et les pouvoirs institutionnels transcendants aux profits d’une conception du pouvoir Foucaldienne, immanente et d’un repli sur le seul singulier et sur les identités qui priment sur le commun. La lutte contre les discriminations et l’attention portée sur le pouvoir intériorisé en soi et chez les autres, la défiance, l’idéal de transparence et l’autocritique ont pris la place des luttes et du collectif.

Anarchistes soucieux à la fois du collectif et du singulier, référés à une société libre, égalitaire et plurielle, il nous appartient d’être vigilant à ne pas répondre en miroir à une posture idéologique de quelques agresseurs, à ne pas prendre la partie pour le tout en refusant d’entendre, de faire place aux luttes pour l’expression de la singularité des transidentités, sans oublier la lutte des classes et la construction de communs solidaires.

Il est temps,vraiment, que s’ouvrent des possibilités d’advenir dégagées des injonctions à être dans la norme, une norme qui refuse que le genre et l’identité sexuée s’expriment de façon multiples et singulières et réfute toute expression des solutions subjectives. Nous pouvons construire un monde capable de les entendre et de s’inscrire dans une réflexivité quant aux normes qu’il crée lui-même, pour ne pas les figer et pour rester vivant. Il s’agira pour la société anarchiste, à l’articulation des singularités et du collectif, d’inventer un nouvel ordre sexuel [12] et social solidaire.