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Encyclopédie anarchiste
« La pensée libertaire constitue l’espoir et la chance des derniers hommes libres » Camus
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Transidentités : d’une persécution séculaire à une singularité décriée I/II
Karine Snepmac
Article mis en ligne le 10 mars 2024
dernière modification le 11 mars 2024

Il est néfaste d’être purement un homme ou une femme, il faut être femme masculine ou homme féminin » (Virginia Woolf_ Une chambre à soi)

« Masculin au turbin, Féminin au foyer. Et les autres au bûcher ? « Serge Hefez

Auteure de cet article, je ne suis ni une personne trans ni une militante LGBTQ+ ; militante libertaire, psychologue clinicienne et psychanalyste amenée à recevoir des personnes trans ou s’interrogeant sur leur identité sexuelle, je les accompagne et évoque la question de la transidentité à partir de ma place, avec certaine idée de la psychanalyse qui, comme le souligne Florent Gabarron-Garcia [1], est ancrée dans un mouvement émancipateur et qui doit sans cesse se dégager d’une idéologie qui fonde le psychanalysme, comme l’appelait Robert Castel, et ses phénomènes parfois réactionnaires qui font symptôme. Mon souci est celui de l’accueil de l’altérité, et de penser une clinique dégagée d’un certain discours social, clinique, qui œuvre à la normalisation et à maintenir l’ordre du monde plutôt que d’ écouter son mouvement.

Militante libertaire, je ne pense pas cependant qu’il doive y avoir un privilège épistémologique des groupes ou personnes stigmatisés. La stand point théory, si elle a l’ambition de transformer le champ social, ne peut faire abstraction de l’altérité et des effets la réception des messages. Chacun doit pouvoir s’approprier les questions qui lui sont posés (en l’occurrence ici les questions queer et trans) et en parler de sa place, en son nom dès lors que c’est hors injures et discriminations. Pouvoir engager une discussion à partir de places différenciées est l’enjeu d’une conflictualité des discours, d’une rencontre possible fusse par la controverse, discussion argumentée qui est selon moi une condition d’une société anarchiste qui permet l’autogouvernement de tous, c’est à dire l’expression de toutes les sensibilités pour participer, par consensus, des normes et des règles nécessaires à un collectif. Ainsi il ne s’agit pas de parler à la place des personnes trans, mais de reprendre de ma place les questions qu’elles nous posent.

D’emblée j’apprécie que les cultures trans et queer viennent déstabiliser les certitudes, les normes, les frontières imaginaires et vienne conflictualiser la question du sexuel et de ses assignations dans une société normée sur un socle patriarcal.

La question des transidentités pose à la société la question de la construction de ses normes et valeurs, normes qui concerne le sexe, le genre et l’identité, et donc les rapports de domination et les constructions subjectives. . Le champ social et certains psys font résistance àl’interrogation des normes et des rapports de domination, et certains se sentent persécuté par l’expression de désir et de constructions psychiques qui n’entrent pas dans les codes sociaux institués. C’est ainsi que nous pouvons entendre parler « d’épidémie trans », d’expansion, de fabrique de l’homme ou de l’enfant trans, au détriment d’une attention sur la quête singulière que portent les personnes trans.

Depuis longtemps des sujets viennent dire aux psys qui peuvent accueillir la parole sans la pathologiser, qu’ils sont en difficulté, en souffrance dans leur rapport à leur corps et au social. Ils viennent mais ils ne sont pas si nombreux, même s’ils sont aujourd’hui plus visible et que leur parole peut prendre forme. Car si l’idée d’épidémie semble faire panique, nous sommes loin d’un mouvement qui viendrait balayer d’un coup l’ordre social. Combien sont-il-elles ces personnes « trans » qui font trembler les tenants de l’ordre moral ?

Il y a peu de statistiques. Au Canada, qui pratique des statistiques sur le genre, il y aurait 0,33 % de la population qui seraient trans ; En France, les données officielles issues de la haute autorité de santé énoncent une estimation de 355/100 000 personnes, soit 0,35 %

Le rapport relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans de janvier 2022-23, qui se base sur les personnes en démarches médicales, nous dit que « le nombre de bénéficiaires de l’ALD au titre d’un diagnostic de transidentité ou dysphorie de genre a fortement augmenté depuis 10 ans, tout en restant relativement modeste : 8952 personnes sont concernées en 2020 ». La HAS précise que parmi eux, les mineurs représentent 3,3 %, c’est à dire 295 patients. Vous avez dit épidémie ? Le service de pédopsychiatrie de la salpêtrière à Paris à reçu en 10 ans 250 enfants en questionnement de genre. Epidémie donc...ou visibilité nouvelle et panique morale ?

Pour les personnes trans que j’ai rencontré et dans toutes les situations où un sujet se pose des questions quant à son identité sexuée, sexuelle ou de genre, il est question de s’y reconnaître, dans une quête d’adéquation entre expérience du corps et expérience du monde pour faire expérience de soi, d’habiter son corps. JC Maleval rappelle que « la psychanalyse met en évidence que le genre ne saurait se réduire à un déterminisme biologique ni à un déterminisme social : un choix inconscient du sujet doit encore y contribuer » [2].

C’est à dire que le genre, l’identité sexuée et sexuelle relèvent d’un « choix subjectif » [3], d’une construction qui échappe au sujet de la conscience comme il échappe aux lois dites naturalistes : c’est un choix au sens de la création subjective qui fonde la singularité, une invention de soi.

En demandant cette attention, ces sujets nous convoquent et nous invitent à une position d’écoute de ce qui leur arrive pour leur permettre, dans l’expérience relationnelle, de l’élaborer et de se le réapproprier .

Ainsi Michael qui a fui l’Égypte et son père car repéré comme « homosexuel » et qui s’autorise ici, soutenu par une écoute attentive, à se féminiser, à s’interroger sur son identité sexuelle « véritable » à partir en quête delui-même.

Plus il me parle et plus nous repérons que le bricolage d’identification qui fait d’unité du moi, ne correspond pas aux attendus sociaux et aux assignations familiales. Humilié et violenté dans son pays, humilié et violenté durant le parcours d’exil, Mickael vit toujours avec la peur d’être humilié, attrapé, violé. Émile Louis, dans « En finir avec Eddy Bellegueule » rend compte de l’interpellation par l’insulte, qui exclut le sujet du monde commun, fait de lui un étranger, le stigmatise.

Michaël n’est pas psychotique, pas pervers, il n’use ni du déni ni de la forclusion [4], il est en quête de lui-même dans son rapport au monde, d’une identité. Ce qui le fait souffrir, au-delà de sa situation précaire, est l’exigence d’avoir à se situer dans le champ du social, dans un sexe (et dans un genre) en opposition à un autre, de ne pas s’y reconnaître dans les attendus sociaux ; ce qui le fait souffrir est aussi la solitude subie, accompagné de détresse et d’isolement.

Mickaêl n’est pas la figure monstrueuse qu’on lui renvoi parfois et à laquelle il pourrait s’identifier, ni même un précurseur de la fluidité de genre ou de la question trans : sa quête subjective s’inscrit dans une longue histoire des transidentités.

Un détour vers l’histoire permet de recontextualiser et de ne pas réduire la question de la transidentité à une pathologie, ou à une « nouvelle » perversion liée au libéralisme et aux nouvelles formes sociales qui ne présenteraient plus de limites ; La lutte ou la résistance contre le libéralisme ayant bon dos pour récuser toute transformation sociale et maintenir les codes sociaux existant, en les rigidifiant par réaction et en en appelant à un retour à l’ordre. [5]

Il importe de repérer l’histoire d’une catégorie et les imaginaires sociaux qu’elle traverse pour ne pas tomber dans les pièges discursifs qui traversent le champ social et qui se réfère à un ordre patriarcal garant d’une normalité.

Qu’est-ce que la transidentité ? C’est terme inventé par Heike Boedeker, sociologue allemande, pour désigner les identités qui se situent à la marge de la binarité féminin/masculin repris du coté du sexe biologique ou du genre et des sexualités. Le terme désigne de multiples facettes des expériences hors cadre binaires : transexuels, transgenres, intersexes, travestis, hommes féminins et femmes masculines et de façon plus générale toute personne interrogeant la pertinence de la binarité des sexes pour se définir.

Posons d’emblée qu’il y a de multiples théorisations de la transidentités, mais que si le terme a été inventé il y a peu, la transidentité est présente de tout temps.

Elle est à comprendre comme une catégorie générale qui rend compte des expériences de passages entre les genres et qui regroupe les dimensions queer, les vécus transgenres, la transexualité. Elle témoigne d’un écart à la norme culturelle prescrite qui a ordonné la question de l’identité sexuelle dans une perspective naturaliste, à partir du sexe biologique.

La transidentité a une histoire, complexe, et qui dit histoire dit histoire des normes sociales instituées qui sont toujours des normes prescriptives quant aux subjectivités en devenir et à l’identité. Le détour historique permet de tenter de repérer comment s’organise les liens entre sexe et genre, entendu comme « l’ensemble construit des rôles et des responsabilités sociales assignées aux femmes et aux hommes à l’intérieur d’une culture donnée à un moment précis de son histoire » [6] .

Il ne s’agira ici que d’en donner un aperçu, pour donner un peu de perspective aux discours trans et queer que certains vivent comme une effraction dans l’ordre du monde, un aperçu qui permet d’accueillir autrement la parole des personnes en souffrance et:ou en affirmation trans, car tous ne souffrent pas.

Dans son livre ’La fabrique du sexe’ [7], Thomas Laqueur propose une analyse historique de la construction des différences sexuelles en Occident. Il soutient que la conception moderne des sexes, fondée sur l’idée d’une opposition binaire entre les hommes et les femmes, est relativement récente. Auparavant, une conception plus fluide des sexes prévalait, dans laquelle les différences sexuelles étaient considérées comme une question de degré plutôt que de nature. Laqueur identifie deux modèles principaux de la différence sexuelle : le modèle unisexe et le modèle des deux sexes.

Le modèle unisexe

Dans le modèle unisexe, qui prévalait jusqu’au XVIIIe siècle, les sexes étaient considérés comme les deux extrémités d’un continuum. Les hommes et les femmes étaient tous deux des êtres humains, et les différences entre eux étaient considérées comme des variations sur un thème commun.Les hommes et les femmes étaient perçus comme ayant des organes génitaux similaires, avec des différences de degré plutôt que des différences fondamentales de nature. Il semblerait même qu’il y avait, pendant la préhistoire, des femmes transgenres. [8]

Dans ce modèle, la différence sexuelle était principalement une question de degré. Les hommes étaient considérés comme plus chauds et plus forts que les femmes, mais ils étaient tous deux considérés comme des êtres humains complets.Cette représentation de continuité entre les sexes ne signifiait pas que les hommes et les femmes étaient considérés comme égaux en termes de statut social et de pouvoir. Le corps masculin était magnifié et considéré comme achevé dans son développement ; le corps féminin, donc, inachevé. Une hiérarchie des sexes existait avec des rôles sociaux bien définis. Les rôles de genre basés sur des attentes sociales et culturelles pouvaient varier selon la classe sociale, la région et d’autres facteurs.Dans l’antiquité, la construction et la division des rôles sexuels se fait entre « faire la guerre » et « enfanter », des fonctions sociales qui soutiennent la cité. « Être homme ou femme, c’était tenir un rang social, une place dans la société, assumer un rôle culturel, non pas être organiquement l’un ou l’autre de deux sexes incommensurables » [9]

« À l’impossibilité biologique pour un homme d’accoucher, répond, pour une femme, une impossibilité qui est, elle, de l’ordre du social, voire du symbolique, celle de faire la guerre. À moins qu’elles ne renoncent pour toujours à la maternité, à l’exemple de ces parthenoï-guerrières, mythiques ou divines, qui ont fait vœu de virginité. », nous dit Nathalie Ernoult. [10]

Ainsi Athena Pallas est une déesse guerrière protectrice. Nous avions déjà une société de paradoxes ou les rites de passages des jeunes parthenoï visaient à acquérir la beauté et à discipliner la sexualité, et des figures mythique et réelles de femmes guerrières telles les amazones. Platon, dans la république, envisage une cité idéale dans laquelle les femmes seraient, comme les hommes formés à la guerre pour défendre la cité. Elles auraient le droit de vote, auraient des droits de participation égale à ceux des hommes, et partiraient au besoin, combattre avec les hommes. Seule la gestation pourrait les soustraire à ce devoir. Ainsi la conception de Platon de la cité tendrait vers une construction non genrée et « dénonce l’idée d’une construction sociale de l’identité sexuelle qui conduit à diviser le genre humain en deux catégories culturelles distinctes et hiérarchisées
selon l’appartenance sexuelle. » [11]

Mais selon Axel Léotard, le genre qui donne forme à la société reste bien figé dans une binarité sexe fort-sexe faible : le sexe fort reste celui qui pénètre. La différence ne semble pourvoir être pensée que hiérarchisée. Son livre « transidentités, une histoire volée » fait un petit tour d’horizon de la dimension de la transidentité dans les siècles qui nous ont précédés.

Par exemple dans la région de Sumer (sud de la Mésopotamie Antique), au VI siècle avant notre ère., les femmes pouvaient passer du genre féminin au genre masculin pour pouvoir hériter, tout en gardant son sexe. En devenant « « homme-femme », elle disposera de toutes les prérogatives propres aux hommes tout en conservant les prérogatives acquises en tant que femme » [12].

Cependant cela n’est possible qu’avec l’ accord paternel.

Dans la mythologie grecque, la figure d’Hermaphrodite [13]est une représentation d’une personne que nous appellerions aujourd’hui intersexe,à la fois et femme et homme depuis que Salamacis, la nymphe a imploré leur union fusionnelle auprès des dieux, parce que Hermaphrodite se refusait à elle. Dès lors, tout homme se baignant dans le lac Salamacis sera efféminés et aura des relations homosexuelles, précise Ovide.

Dans le mythe de Tirésias, celui-ci est transformé en femme par deux serpents dont il perturbe l’accouplement. Il lui faudra attendre plusieurs années avant de les retrouver et retrouver son apparence initiale.

Dans la réalité cependant, les enfants nés « hermaphrodites » seront, comme Oedipe, « exposé », c’est à dire abandonné et confiés au destin qui les mènera le plus souvent vers la mort. La binarité restait stricte et les personnes adultes repérées comme hermaphrodites ou androgynes pouvaient être mises à mort. La bisexualité incarnée de l’« hermaphrodite » ou de l’androgyne restait une monstruosité. [14]

A Rome existait une production discursive qui opposait virilité masculine et mollesse féminine, et selon l’attitude adoptée dans la sexualité, chacun pouvait incarner l’homme ou la femme. Pour autant, la loi autorisera puis obligera vers - 450 à tuer les nouveaux mal formés, monstrueux et en particulier ceux dont le sexe n’est pas déterminé.

Cependant il y avait aussi les galles, des prêtres assignés hommes à la naissance qui franchissaient les frontières du genre dans leur culte de déesses et en particulier Cybèle, divinité phrygienne introduite à Rome dès - 204 [15]. Il semble qu’ils soient eunuques mais pas nécessairement : « le gallo désigne à l’origine davantage un rôle « technico-cultuel » que la condition d’eunuque »[Francoise VAN HAEPEREN, Étrangères etancestrale ?Cerf 2019 : ttps ://books.openedition.org/ephe/1327 ?lang=fr].

Il y a également l’histoire d’Eugénie de Rome, née femme qui décide de vivre la vie des moines : elle se coupe les cheveux, mets des habits d’homme et se fait appeler Eugène. Accusé par une femme qui avait voulu le séduire de l’avoir violé, elle révèle sa véritable identité pour échapper aux lions. Arrêtée plus tard par l’empereur Valérien qui persécutait les chrétiens, elle sera mise à mort en 257.

Au moyen âge [16], quand l’occident latin catholique maintient une binarité stricte des sexes et genre, l’orient Bysentin fonctionne avec un troisième sexe : les eunuques. Ceux ci ne sont pas forcément castrats : il y a des eunuques naturels, hommes ou femmes nés ou devenus stériles. Pour autant, ils ne sont pas mélangés : homme et femmes eunuques sont séparés. Les femmes eunuques peuvent être des femmes ascèses habillées en homme.

L’occident latin lui, s’appuie sur les textes religieux pour asseoir la division stricte entre homme et femme. Mais les représentations sociales laïques tiennent aussi beaucoup à une conception hiérarchisée des places sociales et d’une différence des sexes. Ce qui prime est une hiérarchie de valeur en fonction du genre,celui-cicorrespondant nécessairement au sexe. Sous Philippe Le Bel (1290), les vêtements sont ainsi très codifiés et toute dérogations aux règles peut être l’occasion de procès pour crime de sodomie.A l’époque, le terme englobait toute sexualité considérée comme illicite.

Cependant, des femmes ont pu se travestir en hommes pour accéder à des emplois ou des privilèges normalement réservés aux hommes, mais aussi pour voyager plus sereinement ou encore pour fuir le mariage.Clovis Maillet, dans son ouvrage « Les genres fluides, de Jeanne d’Arc aux Saintes trans » relate plusieurs histoires documentées de travestissement et de changement de genre, dans un contexte social avec des règles très strictes.

Ainsi Hildegonde-Joseph, au XIIème siècle fut d’abord comme fille, puis un garçon. Vêtu en garçon par son père pour un voyage à Jérusalem lors duquel il mourut, ielle reste en garçon et se fit moine. Son histoire est rocambolesque [17]et c’est après sa mort que son véritable sexe fut découvert par son entourage.

Le travestissement était considéré comme une transgression des normes sociales et religieuses, réprimée par l’église. Les prostituées souvent, prenaient habit d’homme. Seule « la présomption de sainteté », c’est à dire le travestissement par appel divin était valorisé, et c’était le fait de femmes, parfois canonisées. Les hommes pouvaient se travestir en femmes pour des performances artistiques ou pour des raisons de divertissement mais cela restait du jeu, du « non sérieux ». Car le sérieux du travestissement peut coûter la vie par accusation de crime de sodomie.

Ce fut le cas au XVème siècle en Italie de Rolandino Ronchaia, probablement personne intersexe assignée homme, qui, à Venise, se prostitua en robe sous le nom de Rolandina et fut condamnée à mort.

Au XVII siècle, l’abbé de Choisy qui était surtout abbé de cour s’habille en femme au vu et su de tous et s’adonne aux plaisirs de la séduction. A l’époque semble-t-il, les habits des enfants ne diffèrent pas en fonction de leur sexe. C’est à la puberté que, poussé par sa mère, intrigante de cour il choisit l’habit féminin avec lequel il se montre dans toute la France.

A la fin du siècle, Pierre Aymond Dumoret se considère comme une femme, se ponce la barbe et se fait appeler Mademoiselle Rosette. Elle deviendra perceptrice mais perdra souvent son emploi. Elle mourra d’une syncope de vouloir faire disparaître son sexe. Ses héritiers voudront casser son testament devant la justice pour « démence ». [18]

Et ailleurs ? Certaines cultures autochtones en Amérique du Nord reconnaissaient la présence de personnes ’deux-esprits’ qui étaient considérées comme ayant à la fois des qualités masculines et féminines, des hommes-femmes qui jouaient souvent des rôles spirituels et sociaux spéciaux. Néanmoins, ils pouvaient être ostracisés au sein même de leur communauté, comme chez les iroquois, chez lesquels ils n’accédaient pas complètement au statut féminin et perdaient les prérogatives du statut masculin, dont celui de pouvoir parler au conseil.

La rencontre des colonisateurs français et espagnols avec ces « berdaches » (comme ils les ont appelés) ou two spirit amérindiens [19](tels qu’ils se nomment eux même) démontre chez ces peuples une fluidité de genre qui va jusqu’au transgenrisme (selon nos codes, pour les indiens, c’est une différence d’ordre spirituelle).

Un jésuite français décrit très précisément un parcours transgenre qui a toute sa place dans la société illinoise :« le travestissement dès l’enfance, le célibat, l’adoption du rôle et des activités féminines, la participation “ à la manière des femmes ” à la guerre (activité masculine valorisée), une fonction cérémonielle voire religieuse importante, un rôle politique et un statut valorisé s « : ce sont des » manitous », et « rien ne peut se décider sans leur avis ». [20]

Ce fut un choc des cultures avec des réactions d’incompréhension, de rejets, de dégoût de la part des colonisateurs.Ici encore, la sodomie qui définit toute sexualité non reproductive fut considérée comme péché majeur et l’occasion de persécutions spécifiques.

Aujourd’hui, des two spirit « dénoncent le colonialisme culturel des LGBT : ils refusent d’être nommés Queer ou être considérés comme appartenant à la communauté LGBT+. [21]

En Inde la communauté des ’hijras’, qui apparaît dans l’antiquité indienne et à été reconnue comme troisième genre en 2014 [22] avec d’autres identités communauté LGBTQ+, est composée d’hommes, ou personnes intersexes considérés comme relevant du genre féminin. Elles portent protection, chance et bonheur dans les foyers et parfois vivent de cette considération, et dans le même temps, parce qu’elles pourraient porter le mauvais œil, subissent le plus grand des mépris et l’ostracisme. Avec la colonisation, elles seront condamnées à mendier et à se prostituer. Elles n’ont pas d’orientation sexuelles spécifiques : hétérosexuelle ou homosexuelles elles font communauté par nécessité de survie car hors mariage et acceptation des contraintes sociales, la rupture avec la famille est fréquente. Elles ont été criminalisées sous l’occupation britannique car soupçonnées d’homosexualité.