Autogestion et pouvoir politique
Quels liens entre planification, marché, entreprise, conseils, système politique ?
→ Le Réseau : « La socialisation du plan exige la planification autonome des entreprises autogérées, l’autogestion territoriale et au niveau central. Le seul initiateur du plan, le seul endroit où l’on discute et décide des priorités et des choix économiques fondamentaux devrait être la Diète ». Il laisse ainsi le Parlement décider des grandes orientations.
→ Le groupe de Lublin : « La coopération entre les conseils ouvriers, Solidarność et tous les organes d’autogestion est la condition pour créer une seconde chambre qui décidera des orientations du développement socio-économique du pays et des régions. Cette Chambre rassemblerait des représentants élus démocratiquement des organes d’autogestion, des fédérations de consommateurs et de protection de l’environnement, des conseils du peuple et des syndicats Elle serait ainsi le propriétaire social authentique des moyens de production du pays tout entier ».
→ Fin 1981, les partisans de Walesa continuent de prêcher l’auto-limitation dans la perspective d’un compromis entre le Parti, l’Église et Solidarność : « Pour conserver et renforcer nos acquis, il faut collaborer de manière responsable avec le gouvernement, en faisant à notre tour des concessions, en limitant les conflits et les actions qui pourraient le gêner ».
La majorité des militants, particulièrement dans les grandes entreprises, veut « aller le plus loin possible le plus vite possible » : « Il faut attaquer tant que nous sommes mobilisés, sinon ils nous écraseront ».
Grève générale active
« Les Polonais ont une surprenante capacité d’auto-organisation, une grève générale produira en quelques jours un tissu d’ententes spontanées, un réseau de comités d’entraide et de coordination qui collaboreront les uns avec les autres, les entreprises travailleront pendant la grève, la production et les échanges continueront », Stefan Bratkowski, journaliste.
Zbignew Kowalewski (Lodz) du Groupe de Lublin appelle à la grève active et aborde la questioon du pouvoir politique :
« Nous devons être prêts à passer de la grève d’occupation passive à la grève d’occupation active. » « Le comité régional de grève doit contrôler l’activité économique de certains secteurs comme l’approvisionnement de la population en denrées alimentaires de base et en médicaments, la production des matières premières essentielles et de l’énergie, les transports ».
Il propose d’« assurer l’approvisionnement des villes par les campagnes, en coopérant avec le syndicat des paysans « Solidarité rurale » et en appelant à la solidarité entre les paysans et les ouvriers, qui les aideraient pour les récoltes ».
« L’instauration du pouvoir économique des travailleurs permettrait d’accumuler les forces nécessaires à la solution de la question du pouvoir politique. Le développement de l’autogestion des travailleurs par la voie révolutionnaire conduirait à l’apparition de l’autogestion locale et territoriale, qui libérerait l’énergie de millions des citoyens ».
Bydgoszcz, acte révolutionnaire manqué
Mars 1981 : Création de « Wiejska Solidarność » (« Solidarité rurale »), le « Syndicat autogéré indépendant des agriculteurs individuels », dont certains membres connaissent les collectivisations de la CNT espagnole en 1936.
19 mars : Pour imposer sa légalisation, Solidarność organise une rencontre à Bydgoszcz. La police intervient avec une extrême brutalité, faisant de nombreux blessés, dont Jan Rulewski, responsable régional de Solidarność. L’émotion dans tout le pays est immense.
27 mars : « grève d’avertissement » de 4 heures dans toute la Pologne avec menace d’une grève générale illimitée. Des millions de travailleurs participent au mouvement le plus massif de l’histoire sociale de la Pologne.
Une réunion de la KKP est prévue le 31 mars à Gdansk pour envisager la suite :
« Pendant quelques jours j’ai observé la vie quotidienne de cette grande communauté ouvrière dans sa mobilisation pour la grève en m’imprégnant de l’esprit des gens se préparant au combat. Partout, une organisation et une discipline exemplaires sautaient aux yeux », Karl Modzelewski.
30 mars : sous la pression de l’Église et du gouvernement, Walesa rencontre le vice-premier ministre Rakowski, un communiqué commun annonçant la reconnaissance de « Solidarité rurale » et l’annulation de la grève générale est publié.
Les ouvriers, qui se préparaient pour un affrontement avec le pouvoir, sont choqués :
« Nous avons soumis les gens à une énorme tension, puis nous avons percé ce ballon et en avons laissé s’échapper l’air. Nous avons gâché une occasion qui ne se répétera plus », Andrzej Slowik, Lodz.
Pourtant c’était la période la plus favorable pour un affrontement direct avec l’État : la combativité ouvrière était à son point culminant, le soutien de la population acquis, le pouvoir pas encore sûr de ses forces, les préparatifs de la loi martiale et de l’état de guerre restant embryonnaires.
31 mars : réunion particulièrement houleuse de la KKP, la publication sans consultation du communiqué du 30 mars est condamnée. Karol Modzelewski démissionne de sa fonction de porte-parole, dénonce la présence dans Solidarność « d’un roi, d’une cour et d’un parlement dessaisi » et constate que « l’arrêt de la dynamique révolutionnaire, imposé à un moment décisif à la fois par son chef et ses conseillers, a mis cette révolution sur un plan incliné. ». Cet intellectuel avait compris que « vouloir modérer les ouvriers au nom du réalisme est irréaliste » et déclarera plus tard :
« Seule une manifestation structurée en collectifs massifs et appuyée sur une grève générale avec occupation peut envisager un affrontement avec le pouvoir : c’est ce qui était possible à Bydgoszcz » .